En ce samedi du week-end de Pâques, nos vélos sont bien installés dans le TER désert qui doit nous déposer à Orange à 8h. Plutôt que de les décharger et de les suspendre dans les rangements trop étroits du train, on fait le choix de les aligner dans le couloir, sous notre surveillance attentive. Manque de pot, le contrôleur procédurier n’est pas de cet avis, et nous sermonne : « Il va falloir me les suspendre sinon c’est dangereux. Vous-savez, je suis responsable pénalement maintenant que je les ai vus… » Même si l’on a peine à percevoir quel tort nos belles montures pourraient causer, et qu’il reste 10 minutes de trajet, on obtempère. Comprenez l’effort, il faut : décrocher deux sacoches généreusement remplies, défaire l’ingénieuse attache qui lie la tente au porte bagage, extraire les bidons d’eau, retirer la sacoche de guidon, hisser 15kg d’acier pour accrocher la roue avant à 2 mètres de haut, renouveler l’exercice d’adresse pour le deuxième vélo, patienter 5 minutes et recommencer les étapes précédentes dans l’exact ordre inverse à l’approche de la gare d’arrivée. Voilà la recette d’un bel échauffement, sûrement nécessaire vu la route qui nous attend.
Le trajet qu’on a choisi pour ces deux jours et demi de vélo n’est en effet pas de tout repos. Il s’agit de relier Orange à Fréjus, par un itinéraire généreux en dénivelé, qui emprunte notamment le Mont Ventoux et les Gorges du Verdon. Amateurs et amatrices de grands braquets, prière de s’abstenir.
Une fois en selle, on s’écarte rapidement de la vallée du Rhône par une voie verte qui nous laisse le loisir d’apercevoir au loin (mais de moins en moins loin) le Ventoux et son antenne si reconnaissable. En arrivant à Bédoin, on comprend vite que le tourisme local est fortement influencé par le tropisme des cyclistes vers le sommet du Géant Chauve. Les boutiques rivalisent d’ingéniosité pour offrir des gourdes, maillots et autres accessoires à l’effigie de la colline calcaire. On vérifie que nos réserves d’eau sont pleines et on attaque la pente, qui commence tout doucement.
La route grouille de cyclistes qui profitent de l’ouverture toute récente du col et du soleil radieux pour espérer battre leur record de l’ascension. Dans ce but, il partent alors à la chasse du moindre gramme sur leur monture, en dévissant par exemple un des deux porte-bidons. Hop là, 50 grammes de gagnés ! Vous imaginez donc leur surprise quand ils aperçoivent notre silhouette imposante grimpant avec peine les forts pourcentages du col. Il faut dire qu’on n’y est pas allés avec retenue : un kilo de plus parce que la tente 3 places « est quand même plus spacieuse que la 2 places », un garde manger bien garni dans les sacoches et un solide antivol en U, on ne sait jamais, au cas où… En nous dépassant ils nous lancent souvent de joyeux encouragement fort appréciés. L’un d’eux s’exclame à notre hauteur : « et avec la béquille ! ». Après concertation, on s’accorde à dire qu’il est impressionné par le fait que Maryam ait gardé la béquille de son vélo pour la montée, et que ça lui semble une charge bien superflue. On ne lui dira pas qu’elle est cassée.
On met « tout à gauche » (comprendre le petit plateau et le grand pignon) et on monte tranquillement, sans être pressés. Avec les développements offerts par nos vélos, ce n’est pas si difficile, il faut juste accepter de monter doucement. On se fait doubler une bonne centaine de fois, aussi bien par des cyclistes équipés des derniers cadres en carbone et des maillots de circonstance que par des familles en vélo à assistance électrique, dont le coup de pédale à l’aisance insolente est parfois difficile à encaisser. Dans l’autre sens, se sont surtout des bolides qui dévalent la descente à des allures absolument déraisonnables et dont les bruits de roue libre nous chatouillent joyeusement les oreilles. Après 4h de montée et un pique-nique en forêt, c’est le sommet. Photo souvenir, cacahuètes et descente jusqu’à Sault, on profite !
On arrive ensuite tranquillement dans le parc naturel du Luberon. Quelques dizaines de kilomètres plus loin on se cuisine un petit dîner à Banon (on vous épargnera les jeux de mots inutiles) et on bivouaque un peu plus loin, dans le fond d’une vallée bien tranquille.
Le lendemain c’est un départ aux aurores. La route qu’on a choisie nous emmène de villages en villages, qui prennent à notre plus grand plaisir des airs de plus en plus provençaux. Après un peu de départementale, on traverse la Durance en ayant une pensée émue pour le petit âne gris des veillées scoutes puis on atteint Oraison. S’en suivent alors de longues routes encadrées par d’immenses champs de lavandes. On se plaît alors à imaginer l’odeur qu’il doit y avoir plus tard dans l’année, sans pour autant être jaloux du sort qui nous est réservé. Un peu plus loin, après Brunet, on trouve une table de pique-nique dans un lacet de la route, et, en guise de repas pour le dimanche de Pâques, on déguste de bonnes pâtes à la sauce tomate cuisinées sur notre nouveau réchaud, tout droit sorti du décathlon de La Tronche. On remonte alors sur un plateau pour filer vers l’Est, toujours entourés de vastes cultures aromatiques, fameuses herbes de Provence.
Plus on s’approche du Verdon, plus la circulation se fait dense, donnant l’impression que tous les motards de la région se sont donnés rendez-vous sur notre itinéraire. En descendant vers le lac de Sainte Croix, un cycliste arrivant en sens inverse traverse la route pour venir nous saluer. On discute un peu de nos itinéraires respectifs : il est parti seul du Danemark il y a un mois, et roule vers Aix en Provence ou de la famille l’attend. Avant de se quitter : « Et sinon, t’as quel âge ? 16 ans ». Respect.
On arrive ensuite au lac et on attaque la montée vers la route en balcon des gorges du Verdon. À notre plus grand soulagement, le flot de motards emprunte la rive droite. Pour notre part, on a choisi la rive gauche, un peu plus escarpée. On laissera les guides touristiques locaux vous vanter à quel point cet endroit est magnifique, ils le feront bien mieux que nous. On confirmera juste qu’ils ont bien raison.
De belvédères en belvédères, on prend quelques photos et on discute avec les autres touristes. La route est en balcon, à 1000m d’altitude, avec le Verdon au fond. C’est grandiose. Elle est bordée au sud par la camp militaire de Canjuers, plus grand champ de tir d’Europe. Les panneaux réguliers sur le bord de la route nous dissuadent d’y mettre les pieds. On a prévu de le traverser un peu plus loin, par la seule route autorisée, mais il faut bien qu’on calcule le coup, pas question de dormir dedans, il faudra s’arrêter avant ou après. Un groupe de cyclistes lyonnais nous dit avoir entendu des tirs à la mitrailleuse pas loin d’eux quand ils y sont passés, ça nous a enlevé le peu de d’envie qu’on avait d’y planter la tente. Face aux jambes qui commencent à tirer et aux gourdes qui se vident, on décide de passer la nuit au bord d’un petit chemin qui part sur la gauche de la route, en surplomb du Verdon. La fatigue nous fait installer la tente rapidement, et moins d’une heure plus tard, une fois le dîner avalé, on est dans nos duvets, avec un doux mélange de crème solaire et de transpiration sur la peau.
Le lundi matin, on plie les affaires rapidement et on se hâte vers Comps-Sur-Artuby où on petit-déjeune au bistrot du coin. Les locaux matinaux attablés sont engagés dans des conversations passionnantes : organisation de chasse aux oeufs et mystérieux évènements impliquant les délimitations de « Comps intra-muros ». Après un nombre déraisonnable de viennoiseries ingurgités, on s’échappe de Comps et on traverse de jolis plateaux si provençaux qu’on s’imaginerait voir le jeune Pagnol sortir des fourrés à la poursuite d’une bartavelle. Sur la gauche de la route, des fermes et des pâtures. Sur la droite, des belles terres interdites d’accès par la présence du camp militaire et des fermes abandonnées. Les expropriations ont du être douloureuses il y a quelques années. On traverse le fameux camp, presque déçus de n’étendre qu’un unique coup de feu.
S’en suit alors une longue et douce descente à travers de multiples villages varois tout à fait charmants. L’altimètre du GPS descend vite et on passe de 1000m à 100m en deux heures. On passe entre l’autoroute et les belles falaises de Roquebrune-sur-Argens, curieux mélange des genres. La circulation se densifie et les automobilistes font des folies pour nous dépasser, incapables de patienter quelques secondes derrière nous. On rejoint finalement Frejus, où on déjeune. On attend ensuite notre train en faisant sécher notre tente sur la plage de Saint-Raphael : il y a pire comme cadre…
Génial cet itinéraire! Merci pour le partage, ça donne tellement envie de retrouver le plaisir de pédaler difficile à satisfaire aux Comores.
Continuez bien avec vos super virées. Des bisous!