On avait promis un délai rapide de publication pour cet article de blog. Visiblement, on ne l’a pas tenu. Notre périple en Turquie fut particulièrement intense, ce qui n’a pas aidé à prendre du temps pour raconter notre aventure grecque… Cette fois ci, on ne promet rien : la suite arrivera quand elle arrivera : mais on vous promet qu’on fera de notre mieux pour retranscrire fidèlement l’intensité de ce qu’on a vécu en Turquie. D’ici là, bon voyage en Grèce, et équipez-vous chaudement pour le prochain article !
Le découpage arbitraire entre nos articles vous avait laissé pendant un bon moment à Ioannina, au nord de la Grèce. On espère que vous en avez profité pour découvrir la ville, et que vous ne vous êtes pas trop ennuyés. On vous propose maintenant de repartir !
Départ vers le Sud
Alors que la soirée se rapproche, on trouve sur la carte une église isolée au bout d’un chemin, qui part de la route en côte qui nous permet de quitter la ville. On y déniche un bout de pelouse suffisant pour planter la tente, et ceci s’avérera être une bonne technique pour le reste de notre trajet en Grèce. Pour l’instant, l’objectif est de rouler vers le sud, pour atteindre le Péloponnèse. Comme on nous l’avait annoncé, on observe un nombre impressionnant de chiens errants autour de nous, allant de poubelles en poubelles, ou bien de prés en prés. Certains semblent même tenter de brouter l’herbe des prairies. Dans les montées, ils nous courent après sur quelques centaines de mètres, mais ils ne posent pas particulièrement de problème. Au nord d’Ambracie, alors que l’on roule sur une route en corniche avec une vue bien sympathique, des trombes d’eau s’abattent sur nous, ce qui nous oblige à ressortir l’attirail complet de vêtements imperméables, afin de retarder légèrement le moment où l’on finit complètement trempés. On redescend dans une vallée et on peine un peu à trouver un lieu de bivouac dans ce relief encaissé, avant de s’installer derrière les vestiaires d’un terrain de foot. Les cabanes de remplaçants nous permettent de trouver un abri à la pluie et de cuisiner puis manger relativement au sec, ce qui est fort appréciable.
On progresse tranquillement vers le sud, sur des routes bien accidentées, qui nous font, l’air de rien, accumuler du dénivelé. Comme en Albanie, les oliviers sont omniprésents, mais on observe de nouveaux éléments dans la végétation. Sur les petites hauteurs, ce sont des forêts de chênes verts qui s’imposent et on retrouve des fougères sur le bord des routes, que l’on n’ avait pas vues depuis la France. On trouve même des figuiers de Barbarie dans les villages : leurs fruits sont délicieux, mais ils ont la terrible manie d’imprégner toutes nos affaires de fines épines aussi redoutables qu’introuvables. Un mois après, il en reste encore dans nos gants…
Au milieu des oliviers
Sur les pentes, les parcelles d’olives imposent leur loi, et la récole bat son plein. Comme en Albanie, ce travail semble une affaire familiale, avec la différence notable de la motorisation : les olives sont récoltées avec un râteau électrique. Elles tombent ensuite sur des bâches étendues au sol, avant de remplir de grands sacs de jute qui sont entassés sur des remorques de tracteurs, que l’on voit sillonner les routes. Juste après la récole vient la taille : les arbres sont élagués assez franchement et les branches sont souvent brûlés directement sur place. Quelques exploitations semblent avoir des tailles plus importantes : on les remarque aux grands groupes de travailleurs saisonniers qui s’y affèrent mais, autour du golfe d’Ambracie, ce sont les exploitations de petite taille qui dominent. Les producteurs habitent dans des hameaux d’une petite dizaine de maisons, avec parfois quelques bêtes dans un hangar de bric et de broc. Parfois, ils n’ont pas accès à l’eau potable et, quand on recherche à se ravitailler, on se voit souvent offrir des bouteilles qui sortent tout droit du supermarché. On avait précédemment pris l’habitude de bivouaquer sur les terrasses d’oliviers. Malheureusement, les vergers sont ici souvent solidement clôturés, et notre exercice quotidien de recherche d’un lieu où poser la tente n’est pas évident, d’autant plus que le terrain est souvent pentu aux rares endroits dégarnis. Le soir, la recherche prend donc un peu plus de temps mais on finit toujours par trouver quelques mètres carrés plats, et à l’abri des regards, souvent au prix d’allers et retours dans des chemins secondaires bien pentus.
Au cours de nos journées, on croise souvent des agriculteurs dont le passe-temps favori consiste à se lancer dans de longs monologues, auxquels on ne comprend strictement rien. A grands coups de gestes, ils nous indiquent l’itinéraire, sans nous demander où l’on compte aller. De ce qu’on observe, ils veulent absolument que l’on aille dans une certaine direction, qui est souvent celle-là même d’où l’on provient.
Stratégies culinaires
A notre grande surprise, les prix des supérettes sont particulièrement élevés. Afin de respecter notre budget, les Lidl sont alors la meilleure solution, bien qu’ils ne courent pas les rues. Dès qu’on traverse une ville suffisamment grande pour accueillir cette enseigne, on fait un plein de courses pour les cinq jours à venir. La variation de poids des sacoches s’en fait alors bien ressentir, en particulier à l’avant du vélo, puisque ce sont les sacoches disposées de part et d’autre de la fourche qui ont l’honneur de nous servir de garde-manger… Puisqu’on a un peu fait le tour des plats lyophilisés et que les bouteilles de gaz sont facilement trouvables dans ce pays, on se met à cuisiner davantage, bien que tout cela reste assez limité par notre matériel de camping. Au menu figure presque systématiquement un plat constitué d’une base de féculents (souvent pâtes ou riz), que l’on fait cuire avec des légumes (aubergines, carottes, choux ou oignons) et une sauce (crème et curry, pesto ou sauce tomate et thon). Cela peut certes sembler assez peu varié, mais chaque combinaison inédite entre nos ingrédients nous semble être un plat tout à fait original, qui nous enchante. Pour le dessert, Maryam raffole de sa nouvelle trouvaille : le tahini au chocolat. Comme Luc n’aime pas trop, et pour ne pas qu’il y ait de jaloux, on achète aussi une pâte à tartiner aux noisettes. Chacun a son pot, dont les contenus descendent à de folles allures…
Cadeau empoisonné
En atteignant Agrinio, on renoue avec la plaine agricole et les parcelles labourées, dans lesquelles il n’est pas non plus facile de trouver un lieu de bivouac. Cependant le fond d’un chemin pas loin du bord du lac fournit un endroit tout à fait convenable. Comme il nous reste un peu d’internet sur les forfaits de nos téléphones, on s’autorise à regarder la demi-finale de la coupe du monde bien au chaud, dans nos duvets, et Maryam a la joie d’avoir une ultime réunion en visio-conférence au petit matin, pour régler une sombre histoire de nombres de semaines de stage nécessaires à la validation de son diplôme. Quand on reprend la route, Luc se fait interpeller par un groupe de retraités alors qu’il est en train de remplir les bidons à la fontaine devant l’église. Ils échangent quelques mots et l’un d’eux nous fait signe de le suivre jusqu’à sa maison, avant de nous demander de l’attendre. Il disparaît quelques instants et revient avec deux énormes sacs remplis d’oranges, qu’il souhaite nous offrir. On lui montre nos sacoches, où aucun espace n’est disponible, mais il ne veut rien entendre… Nous voilà donc repartis avec chacun un sac d’oranges suspendus au guidon, en nous estimant heureux de ne pas avoir rencontré un producteur de pastèques. On s’arrête quelques mètres plus loin pour réduire tous ces agrumes en jus : la petite placette se transforme en atelier de presse, et on remplit trois litres de jus.
Une fois le tout rangé, on repart en direction du sud pour se rapprocher du Péloponnèse. On grimpe sur les reliefs du sud du lac en profitant de la vue qui se dégage. Dans les pentes parfois bien raides, on se voit obligés de slalomer sur la route pour continuer d’avancer, ce qui amuse beaucoup les quelques agriculteurs conduisant des tracteurs dont les remorques débordent d’olives fraîchement récoltées. En haut, on retrouve une végétation un peu plus connue : un mélange de hêtres et de chênes qui pourrait rappeler le Massif Central si quelques percées à travers les arbres ne permettaient pas d’apercevoir la mer. On se fait courser par une meute de chiens errants, alors on se précipite dans la descente. Pris d’un doute au bout d’un kilomètre, on regarde la carte et on se rend compte qu’on a raté une intersection. Demi-tour, et on repart dans la montée, en appuyant de toutes nos forces sur les pédales parce qu’on avait mis « tout à droite » pour la descente (3e plateau, 10e vitesse)… Une fois de nouveau sur les bons rails, on s’élance cette fois-ci dans la bonne descente. On traverse quelques hameaux encore bien fleuris en ce mois de décembre, et la route devient une piste un peu boueuse mais tout de même bien sympathique. Les virages s’enchaînent et on se prend un peu pour des pilotes de moto-cross. Luc s’imagine un instant que la descente pourrait être amusante à filmer en « caméra embarquée ». Sous le regard sceptique de Maryam, il bricole un peu pour accrocher son téléphone à l’avant de son guidon, et lance la vidéo. Évidemment, la scène qu’il imaginait ressembler à un film d’action ne ressemble à rien. A cause de tous les tremblements, on dirait plutôt un extrait de vidéo-surveillance d’un séisme de forte magnitude…
“Quelqu’un aurait vu le pont ?”
Arrivés en bas, on doit emprunter un pont pour traverser la rivière Evènos. On s’approche et, à l’endroit où devait se trouver le pont, on ne trouve qu’un amas de gravas, et des flots assez puissants. La carte est formelle : il n’y a pas d’autres ponts, ni de chemin qui permettrait de traverser plus loin en longeant la rivière. La seule solution consisterait à remonter tout ce qu’on vient de descendre pour contourner la montagne, ce qui est loin de nous enchanter. On imagine un moment de traverser à gué. La rivière n’est pas très profonde et on pourrait faire plusieurs allers-retours en portant les vélos. Mais le courant est vraiment très fort et on a peur de se faire emporter. Maryam explore les berges pour voir s’il n’y aurait pas des points de passage éventuels. On repère également un point où la rivière est plus large, et où le courant devrait donc être plus faible, mais l’entreprise nous semble tout de même trop risquée. On se rapproche alors des quelques maisons à proximité et un homme sort de sa maison, prévenu par les aboiements des chiens alentours. Il n’a pas parlé anglais depuis dix ans, mais on arrive tout de même à se comprendre. Il nous explique qu’il existe un chemin qui longe la rivière et qui ne figure pas sur les cartes, mais qu’on devrait pouvoir emprunter. Ses explications sont un peu plus confuses sur la manière de traverser la rivière. Peut-être qu’il nous dit de prendre le pont de l’autoroute, peut-être pas. On verra. On suit donc le chemin indiqué, dans le vacarme désormais habituel des multiples chiens, que la présence de cyclistes semble irriter par dessus tout. Comme promis, la piste est tout à fait carrossable, et chemine sur le flanc de la montagne. Comme la nuit tombe, on commence à se demander où l’on pourra dormir. Le chemin est étroit mais s’élargit parfois dans les virages. On pourrait peut-être se mettre au bord de la route. Vu les traces des véhicules, personne ne semble rouler à cet endroit, et l’on n’a croisé personne depuis qu’on y est. Seulement, à cause de l’encaissement des lieux, le vent risque d’être violent et la nuit assez agitée. On préfère continuer, en roulant un peu de nuit, ce qui s’avère être une sage décision puisqu’on trouve un pré à un endroit où la vallée s’élargit. Comme à chaque fois que l’on bivouaque dans un lieu où il existe plusieurs endroits possibles où poser la tente, on se fait des nœuds au cerveau pour trouver l’emplacement i-dé-al : « entre cette motte et cette motte, l’herbe a l’air assez douce ». « Oui, mais 3 mètres plus loin, il n’y a pas de bouses ». « Et si on allait juste ici, ça nous éviterait les cailloux »… C’est parfois plus facile quand on n’ a pas le choix.
Après un bon repas chaud et une nuit bien reposante, on se réveille sous un ciel sans nuage, et un soleil puissant. C’est donc en t-shirt qu’on repart à la recherche d’un pont pour traverser. On enchaîne quelques côtes à 15 %, des passages où il faut pousser et pas mal d’erreurs d’itinéraires (il y a quand même une raison pour laquelle le chemin ne figure pas sur les cartes), pour enfin arriver dans un village où cette fois-ci, c’est sûr, il y a un pont. Et pas n’importe quel pont puisque même une voie ferrée l’emprunte, et que la route est bien large, avec un goudron tout neuf ! On s’élance dans la ligne droite en étant tout de même intrigués par quelques panneaux disposés au bord de la route, mais c’est seulement en arrivant au bout que l’on comprend l’ampleur du désastre : le pont est bien présent, mais complètement effondré : la voie ferrée est pliée, et il est hors de question de traverser. On aperçoit au loin un chantier : des ouvriers construisent une digue sur la rivière, et il semble possible de traverser. En effet, les camions s’écartent et on peut enfin atteindre l’autre rive, qui nous narguait depuis un bon moment. On s’arrête à hauteur d’une fontaine pour faire un peu de vaisselle et remplir nos bidons.
Une plage presque secrète
On repart au milieu des oliviers et sous un soleil toujours présent. Maryam fait même 10 km en bonus pour aller chercher ses bidons qu’elle avait oubliés à la fontaine, et on repart en direction du grand viaduc qui doit nous permettre de rejoindre le Péloponnèse. Étant donné que l’heure avance et que le relief escarpé de la zone ne semble pas très hospitalier, on choisit d’aller sur une plage de galets, bien à l’abri dans une baie en contrebas de l’autoroute en corniche. On fait un ultime plein d’eau au niveau du poste de vidéo-surveillance de l’autoroute, et on descend les quelques lacets qui mènent à la plage. A peine arrivés, un homme vient discuter avec nous. Cet Iranien a voyagé à vélo depuis les Pays-Bas jusqu’en Afrique de l’Est, avant de revenir. Il a vendu son vélo, est revenu en Grèce et s’est installé dans une grotte au bout de la plage pour réfléchir à la suite de sa vie nomade. Bien qu’il nous invite dans sa grotte, où des nattes de bambous sont alignées, on préfère installer la tente sur la plage pour éviter l’odeur de crottes de chauve-souris assez marquée. On se baigne dans une eau à une température tout à fait acceptable, et on s’amuse à faire des tas de galets : l’équilibre y est plus difficile à trouver que sur une bicyclette…
On atteint le Péloponnèse
Après ce repos bien sympathique, on atteint enfin le grand viaduc à haubans qui nous permet de rejoindre Patras. Sous les conseils de cyclistes locaux croisés lors de leur sortie dominicale, on emprunte le trottoir du pont, qui nous permet de traverser sans encombres, malgré le vent puissant. La circulation dans Patras est assez importante, mais on s’en extrait aisément pour refaire un plein de courses au Lidl du coin. Luc a besoin de nouveaux pneus pour son vélo, car les siens sont complètement usés. Le premier magasin de vélo n’a pas les pneus recherchés, mais les vendeurs essayent de lui refiler des pneus de gravel, pas du tout adaptés. Dans un autre magasin, il tombe sur un vélociste germanophone. Il n’a pas non plus le modèle recherché mais souhaite à tout pris aider. Il apprend à Luc tout un tas de choses sur le choix de pneumatiques et lui donne ses coordonnées pour qu’on puisse le contacter en cas de besoin car il connaît des réparateurs de vélos dans toute l’Europe, ce qui pourrait nous être utile en cas de besoin. Faute de pneus, on repart avec un e-mail, c’est déjà ça.
On s’installe un peu plus loin sur une table de pique nique pour déjeuner. A la fin de notre repas, deux cyclistes viennent nous voir. Pauline et Matthieu sont deux Français qui terminent ce jour un voyage de 6 mois à vélo en Europe du Sud : ils prennent un ferry un peu plus tard pour rejoindre l’Italie. Comble de la coïncidence, ils habitent Chanat-la-Mouteyre : un petit village perché au dessus de Clermont-Ferrand, à quelques kilomètres de là où Luc a grandi. La côte pour monter à ce village était un grand classique de ses années de collège, où les 6 km de montée étaient pour lui l’équivalent du Galibier qu’il gravissait avec son frère, armés de leurs VTT Decathlon. Parenthèse de nostalgie terminée, nos interlocuteurs sortent leur carte du Péloponnèse qu’ils ont sillonné pendant trois mois, en nous donnant une myriade de conseils, fichtrement bienvenus parce qu’on n’avait pas prévu grand-chose. On passe un super moment ensemble et, une heure plus tard arrivent par hasard deux autres cyclistes. Comme d’habitude, ils sont français. Ils s’attablent avec nous un moment. La joyeuse troupe se sépare en fin d’après-midi : on part en direction du sud pendant que nos amis rejoignent le port, les sacoches garnies de bouteilles d’huile d’olive.
Un peu de hauteur
A ce stade commence alors une nouvelle étape de notre séjour en Grèce. On renoue avec des routes montagneuses, en se dirigeant vers Kalamata où nous attend Yorgos, un hôte de la plateforme Warmshowers. On s’élève vers les montagnes du centre, au milieu de paysages vraiment splendides. On apprécie les routes sinueuses de montagne, toutes en parfait état, sous un soleil permanent. Chaque soir, on élit domicile à côté d’une nouvelle chapelle, facile à trouver étant donné que les Grecs ont l’agréable manie d’en bâtir une au sommet de chacune des hauteurs, évidemment nombreuses autour de nous. Dans les vallées et sur le bas des reliefs, les olives sont toujours présentes. Des presses coopératives sont disposées régulièrement et sont les épicentres de l’activité saisonnière. Il s’en dégage toujours une agréable et persistante odeur d’olives fraîches, qui nous ravit. Sur les hauteurs, ce sont plutôt des forêts où des pâturages qui dominent. Circuler sur ces routes est un enchantement de tous les instants. On profite de pouvoir renouer avec des altitudes à quatre chiffres sans être frigorifiés. Les contacts avec les locaux sont peu nombreux, mais parfois chaleureux. Un jour, alors qu’on traverse un village, on se fait héler par un groupe d’une dizaine de personnes, rassemblées autour d’un repas. On sort de notre déjeuner mais on accepte leur invitation. A peine quelques mots échangés, on se retrouve chacun avec un verre de jus et une assiette remplie de poulet rôti et de pommes de terre. Dès qu’on pose la fourchette pour saisir notre verre, les femmes nous invitent prestement à manger, et dès que le verre est vide, les hommes se précipitent pour le re-remplir. Toute cette joyeuse assemblée est en train de construire une petite étable pour les moutons. Certains manient le poste à souder pour construire la charpente de l’édifice, sous le regard encourageant de leurs compères bien attablés. Quand on explique aller à “Istanbul”, on ne nous comprend pas : les grecs utilisent encore le nom de “Constantinople”.
Arrivée sur Kalamata
Après trois jours à rouler sur ces routes désertes et magnifiques, mais exigeantes pour les mollets, on se rapproche de Kalamata. On redescend dans la plaine et on traverse la mine de charbon de Megalopoli. Certains espaces, dont l’exploitation est terminée ont été renaturés. Alors qu’on essaye d’habitude de comprendre les paysages qui nous entourent, en observant les reliefs et les cours d’eau, ou bien les changements de végétation, on se trouve ici tout à fait perplexes. Tout semble complètement artificiel : rien n’a de sens. Une végétation uniforme et sans âme s’étale sur de tristes hectares de remblais, au milieu de maisons abandonnées. La partie en activité de la mine est un spectacle encore plus désolant. De la route qui longe le trou béant, on aperçoit les immenses camions qui descendent le long d’une route en colimaçon. Partout autour de nous, le terrain est à nu, sans que l’on perçoive où tout cela peut bien s’arrêter. La route est aussi plate que droite, si bien que l’on connaît l’horizon avant de l’atteindre à vélo. Heureusement que l’on se désole du paysage, sinon on s’ennuierait.
Après, une ultime côte grimpée à un bon rythme, la vue s’ouvre brusquement sur la plaine au nord de Kalamata. Sous nos yeux s’étale une mer d’oliviers. Quelques variations dans les couleurs de feuilles, entre le gris, le bleu et le vert. Des parcelles à l’alignement parfait, d’autres à la disposition un peu plus fantaisiste. Mais surtout, une uniformité agricole qui ferait passer la Beauce pour un paysage varié. La route descend en quelques lacets joliment dessinés et on se retrouve aux milieu des arbres. Au vu de l’odeur ambiante, Maryam ne résiste pas longtemps avant de rentrer dans une coopérative. Elle en ressort avec une bouteille de 50cl remplie d’une huile bien fraîche, offerte par les producteurs. Le parcours prévu nous fait faire tout un tas de détours pour éviter la grosse route où circulent les tracteurs. Mais bon, le paysage est assez monotone et c’est parfois assez fatiguant de sortir le téléphone à chaque intersection pour consulter la carte. Alors, on coupe au plus court : on se met l’un derrière l’autre sur la droite de la nationale, on monte la chaîne sur le gros plateau, on baisse la tête, et on pédale. On met un peu de temps à trouver notre allure mais, une fois les 27 ou 28 km/h atteints, on se sent inarrêtables. Au bout d’une heure à bien rouler, on se rend compte que ça nous fait du bien de renouer avec ce genre d’effort, qui correspond aussi à ce que nous aimons dans le vélo.
Une fois la ville de la Kalamata atteinte, avant le détour habituel par le Lidl du coin, on va s’installer sur une jetée pour ne pas arriver trop tôt chez notre hôte. On observe amusés une famille toute apprêtée prendre la pause sous les instructions d’un photographe qui, il faut bien le reconnaître, a bien choisi son heure. La lumière dorée sur le port est belle. Arrivés chez Yorgos, on prend une douche et on lance une machine avant de s’installer autour d’une carte. Yorgos est organisateur professionnel de tours à vélo. Il prépare des itinéraires sur plusieurs jours pour des touristes, souvent américains et connaît le coin comme sa poche. Il nous conseille sur la route à suivre et les endroits à ne pas manquer, en réussissant l’exploit de dissuader Luc d’opter pour la route montagneuse jusqu’à Sparte : « des gens viennent du monde entier pour cette route côtière, ce serait dommage de la rater… ». Une fois l’itinéraire prévu jusqu’à Athènes, c’est à nous de jouer. Yorgos a l’habitude d’organiser des tours ailleurs qu’en Grèce, en Italie et au Maroc notamment. Il aimerait bien étendre son activité en France, en proposant un voyage de Genève à Avignon. Ça tombe bien, on a pas mal pédalé dans le coin. On passe alors longtemps autour d’une carte, à lui conseiller nos coups de cœur, dans le Vercors et le Diois notamment, et à construire avec lui un itinéraire bien sympathique !
Sur les routes du Magne
C’est tout propres et reposés que l’on part alors vers le sud, et l’exploration de la péninsule du Magne. Yorgos avait bien raison, la route côtière est splendide. Elle ne cesse de monter et de descendre, de s’éloigner un peu de la mer pour mieux s’en rapprocher quelques kilomètres plus loin, en offrant à chaque fois des perspectives plus incroyables les unes que les autres. Une fois sortis de la ville, la circulation est inexistante, et on a des routes parfaites pour nous tout seuls : un paradis pour les cyclistes. On s’installe pour la première nuit dans une crique rocheuse où, malgré les apparences, les replats ne sont pas l’œuvre de l’homme. L’été, c’est une plage nudiste ; l’hiver, un lieu de bivouac idéal. L’accès n’est vraiment pas évident, et on doit descendre les vélos et les sacoches séparément. Sous les conseils d’un Belge croisé sur place, on part explorer une grotte à proximité immédiate. Armés de nos frontales, on s’enfonce sur 200m dans des couloirs qui descendent en pente douce. D’après Wikipédia, la grotte fait plus de 2km de long mais nous n’avions ni l’équipement, ni l’expérience pour l’explorer plus en profondeur.
Pendant quelques jours, on poursuit alors notre route sur cette péninsule, en direction du cap Ténare. On découvre l’architecture byzantine, omniprésente dans les villages que l’on traverse. Les vieilles bâtisses en pierre sont un condensé de formes géométriques. La structure est souvent cubique, avec des arches bien symétriques, et souvent des créneaux au sommet. Les imitations modernes, bien que factuellement dans le jus local, nous semblent moins réussies et détonnent avec le reste des bâtiments. Le paradis cycliste continue : les routes sont toujours aussi belles que désertes. On trouve facilement des tables de pique-nique avec vue sur des eaux turquoises pour nos déjeuners et les bivouacs sont enfantins à trouver. On se retrouve régulièrement à dormir sur les plages où, comble du luxe, on peut utiliser les douches. Après un bain de mer pour se mettre en température, on profite de l’habitude retrouvée d’être tout propres, presque tous les jours. Quand la plage est de sable, on dort bien, bercés par le bruit de la mer. Quand c’est des galets, c’est un peu plus complexe : en raison d’un défaut chronique sur le modèle de nos matelas décathlon qui fuient d’un peu partout, on se retrouve souvent au sol. Pour celui de Maryam, on a réussi a limiter les dégâts à l’aide d’une armée de rustines. Pour celui de Luc, les tentatives de réparation ont échoué et il doit remettre un coup de poumons dans la valve toutes les deux heures environ.
La météo continue d’être parfaite : avec 15 à 20°C en journée, on pédale en t-shirt. On profite aussi des ciels dégagés et de l’absence de villes autour de nous pour s’initier à l’observation des étoiles et des planètes. A l’œil nu et à l’aide d’une carte, on s’entraîne chaque soir à reconnaître et nommer davantage d’éléments du ciel, tout en essayant de comprendre comment tout cela se déplace. On doit bien le reconnaître, on est assez fiers de nos progrès ! On passe Noël au « bout du bout » de la péninsule, sur la dernière plage avant le cap Ténare. Pâtes au pesto puis on file sous la tente : un réveillon de rêve !
Une nouvelle péninsule
Comme on ne peut plus aller plus au sud, on attaque notre remontée vers le nord, dans des conditions toujours aussi idéales. Un soir, on se trouve même un bivouac qui est à lui seul un condensé de tous nos bivouacs précédents : sur une presqu’île rien que pour nous, à côté d’une chapelle, au milieu des oliviers. En arrivant vers Gythio, on retrouve quelques kilomètres de plaine, propice à la culture d’oranges. On y passe une nuit agitée sur une plage en raison du dispositif sonore éloignant les oiseaux des vergers : un (faux) coup de feu toutes les deux minutes !
Sur le parking du Lidl de Skala, on rencontre deux cyclistes bretons, qui reviennent de Crète, sur le retour de leur tour d’Europe. On les recroise le lendemain quand on visite la ville de Monemvassia. On se plait à arpenter les ruelles de la ville fortifiée, bâtie au pied d’un rocher. Elle fut pendant longtemps un centre commercial d’exportation du vin, en étant notamment contrôlée par les Vénitiens. Aujourd’hui, l’enchaînement de passages étroits entre les maisons en roches claires attire de nombreux touristes. Un sentier permet de monter au sommet de la falaise et d’apprécier la vue sur la ville, directement en bord de mer.
À ce stade, il nous faut alors rejoindre Argos. On a deux choix : on peut s’écarter de la côte pour éviter du dénivelé mais la route côtière et ses 3000m de D+ a l’air splendide. De plus, l’appareil photo de Maryam est toujours en réparation, et on doit prendre du temps pour ne pas arriver trop tôt à Athènes en espérant qu’il soit prêt quand on arrive. On opte pour la montagne : un choix que l’on ne regrette pas. Les routes sont encore plus désertes que d’habitude. Pendant 2 jours à grimper on croise à peine quelques maigres dizaines de voitures. Au sommet d’une côte, alors qu’on fait une pause sur un banc, on voit débarquer deux cyclistes. Ce sont deux Slovènes qui sont en vacances dans le coin, et qui rayonnent à la journée autour de leur hébergement. Sur un des vélos, Luc repère rapidement un modèle d’étrier de frein qui l’intéresse sur leur vélo : tout content, il se voit proposer de l’essayer. Avec un vélo 4 fois plus léger que celui dont il a désormais l’habitude, il a l’impression de voler ! On redescend alors sur Leonidio par une route vertigineuse, et on s’installe sur la plage. On y vérifie ce que deux grimpeurs allemands rencontrés quelques jours plus tôt nous avaient expliqué. Les falaises de Leonidio sont très réputées pour l’escalade. Des grimpeurs viennent de toute l’Europe pour y grimper et, la coutume locale veut que chaque groupe installe son camping-car ou son van aménagé sur la plage, entre le poste de police et le camping, sous le panneau indiquant qu’il est interdit de procéder ainsi. Apparemment, c’est toléré. Il faut bien reconnaître que l’ambiance y est assez sympathique : les gens s’installent ici pour toute la saison et apprennent à se connaître. Le soir, les grimpeurs espagnols invitent leurs homologues suisses dans leur van et, au petit matin, la plage est remplie de grimpeurs allemands faisant leur yoga face au soleil.
On poursuit notre route vers Argos, sur une section un peu plus plate que précédemment. La circulation augmente petit à petit, tout en restant tout à fait raisonnable. On nous a souvent répété que l’entrée dans Athènes est particulièrement peu adaptée aux cyclistes, alors on a prévu de prendre un train depuis Corinthe pour rejoindre la capitale, ce qu’on fait après un dernier bivouac sous un pont antique fraîchement restauré, que l’on s’amuse à escalader. Au cours de cette étape, le paysage change : finis les oliviers, place aux orangers !
Court séjour à Athènes
On passe alors deux jours à Athènes, en séjournant chez Nikitas, qui nous accueille superbement chez lui. Au cours de ce court séjour, on sillonne la ville dans tous les sens, pour récupérer différents colis qu’on avait fait expédier, ainsi que pour acheter ce qu’il nous manque. Luc peut enfin changer ses pneus ainsi que son matelas, et on trouve de quoi tenter une réparation de son garde-boue arrière, fendu sur toute la largeur. On réceptionne aussi notre « USB-werk », qui nous permet de recharger les téléphones à partir d’un dynamo dans le moyeu. Ce dispositif nous avait lâché au deuxième jour de notre voyage, sous la pluie du col du Lautaret. Il aura fallu presque trois mois pour avoir le temps de de le renvoyer à l’entreprise allemande, le réceptionner en France et l’obtenir enfin en Grèce. Entre temps, notre panneau solaire, bien aidé par l’ensoleillement des derniers jours, faisait l’affaire, mais ce surplus de courant sera le bienvenu !
Comme les divers magasins que l’on doit visiter sont aux quatre coins de la ville, on passe ces journées de repos à pédaler : une expérience particulièrement éprouvante. Il nous est difficile de nous repérer dans ce labyrinthe de sens uniques, au milieu de torrents de scooters et de taxis. À plusieurs reprises, on est même amenés à rouler pendant plusieurs kilomètres sur l’équivalent du périphérique (il n’y a pas d’autres alternatives pour rejoindre le Décathlon…). De jour, c’est assez épouvantable. On vous laisse imaginer ce qu’il en est de nuit, sur une 2×4 voies…
On a tout de même l’occasion de se reposer un peu, de partager un repas au restaurant avec Nikitas et d’en apprendre davantage sur la ville, grâce à notre hôte, très cultivé ! Le troisième soir, on se dirige vers le Pirée, pour grimper dans notre ferry en direction de la Turquie !
Super récit !!!
Comme d’habitude j’ai bien rigolé et j’ai bien voyagé grâce au récit et aux photos (même si c’est un voyage dans le passé parce qu’on est conscients que ce que vous vivez actuellement est complètement différent et pas forcément très facile).
Bon courage et que Dieu vous garde.
Virginie
Bravo pour ce compte rendu même s’il s’est fait attendre. Que de magnifiques photos vous avez prises… vous aurez du mal à revenir au pays !!
Nous sommes ravis pour vous deux, profitre bien de ce temps béni des Dieux.
Nous vous embrassons affectueusement
Nous vous suivons fictivement avec plaisir. Souhaitons que votre passage en Turquie ne soit pas terni par le drame qu’ils viennent de vivre et qui doit beaucoup les préoccuper.
Bonne route à vous.
Merci ! Le récit sur la Turquie est en préparation… Nous étions loin du séisme et n’avons pas ressenti de secousses, mais avons bien vu comment le pays était secoué…
Quel magnifique voyage ! Et quel plaisir de vous suivre grâce à ce blog ! Merci encore pour les photos et les anecdotes qui rendent ce périple si vivant. On attend la suite avec impatience.
Merci ! Ça nous fait plaisir de savoir que nos récits sont appréciés !