Chapitre 1 – Traverser les Alpes : de Grenoble à Turin
Chapitre 1 – Traverser les Alpes : de Grenoble à Turin

Chapitre 1 – Traverser les Alpes : de Grenoble à Turin

Jeudi 20 octobre : après avoir reporté le départ à plusieurs reprises, les sacoches peuvent enfin être solidement fixées aux vélos pour prendre la route, avec quelques jours de retard sur le plan initial. En effet, Luc ayant oublié un polo en laine mérinos d’une importance capitale pour le voyage, chez ses parents à Clermont-Ferrand, il a fallu attendre que la poste veuille bien le livrer jusqu’à Grenoble, où les deux cyclistes l’attendaient de pied ferme. Les quelques jours d’attentes furent principalement ponctués par des déplacements quotidiens au Decathlon le plus proche pour acheter des bricoles dont l’utilité fera peut-être défaut. Heureusement que la poste n’a pas demandé un jour de plus pour acheminer le colis : on serait partis avec un tuba ou un masque de ski, au cas où.

Notre périple cycliste commence par une traversée Ouest-Est des Alpes, à hauteur de Grenoble. On débute en douceur par la montée de Chamrousse, avec une bonne dizaine de kilomètres à 8 %. Bien que nous ayons une certaine propension à prendre de l’altitude à bicyclette, il faut bien reconnaître que ce sport est tout autre dans notre configuration actuelle. Au départ, à la pesée des machines, chacun des vélos chargés atteint la coquette masse de 40kg. A titre de comparaison, cela revient à grimper des cols avec le vélo du vainqueur du tour de France, mais en portant 5 fois le même vélo dans son sac à dos, ou alors à utiliser un vélo à assistance électrique, mais avec le moteur éteint et 2 packs de 8L de lait sur le porte bagage. L’effort est donc naturellement différent, mais que l’on se rassure, on s’y habitue rapidement. Dans la montée, on repère des châtaignes dans le fossé. En arrivant au premier col, où l’on compte s’arrêter pour le bivouac, on s’aperçoit qu’un foyer est présent. Alors, sans trop hésiter, Maryam allume un feu pendant que Luc pose ses sacoches et repart dans la descente pour récupérer des marrons. On s’endort alors pour la première nuit sous la tente l’estomac garni de marrons chauds. On aurait difficilement pu mieux faire !

Le lendemain : changement d’ambiance. Les derniers mètres de dénivelé sont gravis sous des trombes d’eau et la pluie ne faiblit pas pendant la forte redescente jusqu’à Séchilienne, où l’on trouve à s’abriter sous une avancée du toit de la mairie. La météo s’arrange petit à petit et on s’élance pour rejoindre Bourg d’Oisans et la longue montée vers le col du Lautaret. Vers midi, la première cage d’escalier venue nous offre un abri de la pluie et du vent et on commence les premiers kilomètres de l’ascension. 34 km de montée nous attendent avant de pouvoir basculer dans la descente vers Briançon. La pente n’est pas très raide, et on prend notre temps. Autour de nous, les arbres se sont revêtus de leurs couleurs automnales et Maryam se félicite d’avoir acheté une veste jaune, qui rend très bien sur les photos.

A hauteur du lac Chambon, on s’amuse avec les jeux de couleurs pour prendre quelques photos, mais la nuit avance et il faut continuer. Quelques kilomètres plus loin, c’est la première crevaison : une espèce d’agrafe sacrément difficile à extraire s’est fichée dans le pneu arrière de Luc et il nous faut un bon quart d’heure pour tout remettre en état.

Après tout cela, étant donné que la quantité d’eau présente dans nos bidons est inversement corrélée à celle dont nos vêtements sont imbibés, il nous faut continuer jusqu’à La Grave pour espérer trouver une fontaine et un coin tranquille pour planter la tente. Alors qu’on y fait halte à hauteur d’une fontaine, une camionnette s’arrête et, sans qu’on ait besoin de formuler la moindre demande et sa conductrice Maya nous propose une nuit au chaud dans le village d’après. On accepte bien évidemment, tout comme la bière offerte pendant que le chauffe-eau s’occupe de notre douche. On discute un peu avec nos hôtes, férus de ski et d’alpinisme, et on file se coucher.

La fin de l’ascension du Lautaret se fait dans un cadre franchement sympathique : les nuages ont pris de la hauteur et on aperçoit les sommets enneigés, tout comme les cascades qui dévalent des lointaines hauteurs.

La redescente sur Briançon est toujours aussi longue, et on fait honneur à une table de pique-nique qui nous avait déjà rendu de fiers services pendant notre tour des Ecrins. On repart ensuite de Briançon en direction du col de Montgenèvre où on passe notre première frontière. On s’y restaure un peu au milieu du désert qu’offre une station de ski en dehors de sa saison pleine. Arrivés en Italie, on redescend dans la vallée en passant relativement bien entre les gouttes, et on trouve un coin pour bivouaquer au pied d’un pylône de remontée mécanique, au prix d’un sacré raidillon où il a fallu se mettre à deux pour pousser les vélos.

Le lendemain, la dernière étape alpestre de notre trajet nous attend. Il nous faut tout d’abord remonter 600 m d’altitude pour atteindre le col de Sestrières. Dans un petit village à mi-pente, alors qu’on profite de l’eau d’une fontaine, un italien sorti montrer les cloches de l’église à son fils nous invite à prendre un café chez lui. On finit notre vaisselle et on atterrit dans le salon d’un chalet de montagne, au milieu de 6 italiens occupés à regarder une compétition de ski alpin à la télévision. Certains d’entre eux parlent un français remarquable, et nous questionnent sur notre aventure, que l’on détaille volontiers. On se tait au moment où le concurrent italien supporté par nos hôtes s’élance sur le glacier autrichien. Malheureusement, malgré l’encouragement de ses télé-supporters, sa performance ne lui permet pas de se qualifier pour la suite. Sachant que la route est longue par la suite, on n’abuse pas de l’hospitalité qui nous est proposée, et on atteint le col de Sestrière un peu avant midi, où l’on se ravitaille d’une bonne soupe bien chaude cuite au réchaud. On s’indigne que le snack nous demande 50 cts par bouteille pour les remplir et on part faire une bien meilleure affaire avec la fontaine voisine, beaucoup plus généreuse. Bien ragaillardis, on s’élance alors pour la Strada della Assietta, une ancienne piste militaire qui grimpe sur les crêtes à plus de 2400m d’altitude. La parcourir fut un réel enchantement, bien aidé par les conditions météorologiques particulièrement favorables. Pour des raisons qui échappent à nos embryons de connaissance en dynamique atmosphérique, les conditions de ce jour offraient deux altitude de stabilité pour les couches nuageuses. A hauteur du village de Sestrières, que les infrastructures olympiques n’ont clairement pas aidé à rendre charmant, une première couche nuageuse bien dense noie toutes les vallées aux alentours. Vue de haut elle ressemble un matelas moelleux qui coule entre les reliefs. Beaucoup plus haut, tutoyant les glaciers enneigés, une autre strate de nuage cache la lumière du soleil. Et puis, entre ces deux couches, une piste de gravier plonge de crête en crête, entre de vastes pentes enherbés et d’intrigantes formations rocheuses. Sur cette route, deux cyclistes, émerveillés par les couleurs d’automne et le paysage vertigineux, roulent sans savoir où donner de la tête et sans jamais croiser personne, comme s’ils étaient seuls au monde. La piste suit les reliefs en montant et descendant au gré des variations d’altitude des sommets, occasionnant parfois des efforts soutenus pour la suivre, d’autant plus que le revêtement caillouteux irrégulier secoue quiconque pose ses roues dessus.

La suite de la journée tranche avec l’émerveillement décrit précédemment. Nous avions prévu de poser la tente au plan de l’Alpe, à la fin de la piste, juste en deça du colle delle Finestre. Nous n’avions par contre pas anticipé que ce plan était justement à la hauteur des premiers nuages. En y arrivant, on doit se rendre à l’évidence : la visibilité est exécrable, et le bivouac sacrément humide… Alors que la tente peut nous protéger de la pluie ou du vent, elle s’avère inutile face à l’humidité ambiante. Qui peut lutter contre un nuage ?

On décide alors de remonter la pente direction le Colle delle Finestre, dans une course poursuite avec la couverture nuageuse digne d’un film d’action (à la différence notable que la dite course poursuite se déroule à 5 km/h). En arrivant au sommet, on bascule sur le versant nord dans un autre monde. Alors que l’on est à plus 2100m d’altitude, on doit redescendre dans la vallée vers Susa à 600m. La route n’est pas goudronnée, serpente comme peu d’autres routes montagneuses, la nuit tombe et le brouillard est dense. Sans mentir, malgré nos phares et lampes puissants, on n’y voit pas à 3m. Alors, on prend notre temps. Sans ligne blanche, on ne peut pas anticiper les trajectoires et on doit s’adapter au dernier moment aux caprices du tracé. Plusieurs fois, des animaux se jettent sous nos roues et on réussit à les éviter à quelques décimètres près. A mi-pente, on aperçoit pour la première fois de la lumière. Trois enfants sortent d’une fromagerie et nous regarde comme si nous tombions de la lune. On continue la descente. La visibilité s’améliore peu à peu, et la route redevient goudronnée, ce qui rend possible la descente d’une série d’épingles à cheveux très rapprochées. Épuisés par les sollicitations à répétition dans cette descente interminable, les freins de Luc commencent à donner des signes de faiblesse et, pour s’arrêter après l’ultime virage à hauteur du bivouac que son frère nous avait signalé, c’est en frottant les pieds contre le bitume qu’il interrompt le cours de sa machine.

Après un bivouac réconfortant et une grasse-matinée nécessaire, c’est en longeant la vallée de Susa que l’on atteint Turin, où l’on passe la nuit chez un hôte Warmshowers. Pour le remercier (et pour faire sécher notre lessive), on l’aide à bricoler un toit en plastique ondulée pour protéger son balcon de la pluie. Le lendemain, on repart en direction de Venise en longeant le fleuve Pô.

Envie de rester au courant ?

Inscrivez-vous pour recevoir un mail à chaque nouvelle publication sur ce blog.

14 commentaires

  1. Michel Lescoffy

    Merci pour ce récit de vos premiers kilomètres: précis et surtout très vivant sans trop entrer dans les détails. Vos photos sont magnifiques. On a hâte de connaître la suite (quid des freins de Luc ?)… Bonne continuation sur la route.

    1. Luc

      Tant mieux que ça te plaise. La suite arrivera quand on aura terminée notre traversée de la plaine du Pô. Mes freins vont bien, j’ai dû juste refaire quelques réglages et tout est reparti à merveille.

      1. Philippe

        Bonjour,
        Je viens de découvrir sur cyclo-cyclotes votre projet de tour d’Europe où j’ai tout de suite cliquer sur votre lien pour vous suivre. Ben, chapeau bas pour ce projet et aussi pour l’itinéraire que vous suivez parce que lorsqu’on est à Montgenevre il y a quand même plus simple pour descendre sur Turin que de faire un détour par Sestriere et la piste militaire dans les alpages. Sinon, très courageux de prendre la route en cette saison, mais c’est toujours d’anticiper les conditions météorologiques, qui plus est de nos jours.
        Après Venise, quelle direction allez vous prendre ? Descendre vers le sud, suivre la côte adriatique en ex-yougoslavie où remonter sur l’Autriche.
        Pour info nous habitons Vienne en Autriche et depuis que nos 2 enfants sont partis étudier à l’étranger, nous nous sentons un peu seul et aussi ce qui pourrez vous intéresser, nous avons de la place pour vous accueillir. Aussi, comme je suis aussi cycliste, je pourrais venir à votre rencontre et ensuite vous escorter sur un bout de chemin. Alors surtout n’hésitez pas. Bonne route, Philippe

        1. Luc

          Merci Philippe pour ton commentaire et ta gentille proposition. Pour l’instant, nous longeons la mer Adriatique puis nous partons en direction d’Istanbul. Pour la suite du trajet, il est possible que nous posions nos roues du côté de Vienne. Dans ce cas, nous n’hésiterons pas à vous contacter ! Merci !

          1. Philippe

            Vraiment hâte de lire la suite. Vous verrez je vous ai laissé un commentaire sous votre tour des Écrins. Bonne route en espérant que vous ayez une meilleure météo qu’ici à Vienne. Philippe

  2. CYCLOHC

    Eh ben ! Vous commencez fort : avec ce chargement, la traversée du Colle dell Assietta est une belle entreprise.
    Je sens que l’on va se régaler à vous suivre virtuellement.
    Bravo à tous les deux.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *